lundi 28 mai 2012

Bande dessinée numérique, un marché en pleine construction

La BD, parent pauvre de l'édition numérique ? Rentable, pas chère à produire ? Que dit l'étude du Motif (Observatoire du livre) sur la BD numérique ?


La bande dessinée, comme toutes les autres formes littéraires, entretien avec le format numérique une relation de méfiance. Alors qu'aux États-unis et au Japon, le E-Book dompte doucement mais surement les nouvelles habitudes de son lectorat et pose les bases du marché, la France elle débat de son cadre et de sa viabilité.

BD numérique française, le temps de l'analyse

Les acteurs du livre français, en sont pour l'instant à l'analyse, comme ce fut récemment le cas lors du salon du livre de Paris en mars dernier. Même si pour l'heure seule 5% de Français disent lire des livres au format numérique, ils affirment dans le même sondage,

être 30 % à être prêts à lire des romans ou des BD numériques si l'offre proposait plus de choix (Ipsos-CNL 2010).

L'Etat, quant à lui, montre sa volonté de mieux appréhender ce nouveau format. Le rapport Zelnik, missionné par le ministre de la culture, présentait le 6 janvier les
recommandations suivantes :
  • loi du "prix unique du livre" étendue au livre numérique,
  • taux de TVA à 5,5% (actuellement à 19,6%) pour le E-book,
  • plateforme de diffusion commune à tous les éditeurs,
  • numérisation massive des fonds,
  • meilleur répartition des bénéfices entre les différents acteurs du livre numérique.
Les auteurs BD lancent "L'appel du Numérique" !

La question des "droits et conditions numériques" est donc au coeur de tous les questionnements. Conscient de ces enjeux le SNAC (1) a lancé la pétition "
l'Appel du numérique"signée par plus de 1300 acteurs de la BD, dont beaucoup de personnalités du 9e art (Arleston, Trondheim, Morvan, Loisel, Schuiten,etc), bien décidés à faire entendre leur voix dans le débat du numérique (la pétition en ligne ici).

L'étude de l'Observatoire du livre d'Ile de France : un pavé dans la marre !

C'est dans ce contexte que le 4 mai dernier, la MOtif (l'Observatoire du livre et de l'écrit en Ile-de-France) rendait public une étude intitulée "
Combien coûte un livre numérique ?". Pourquoi la question est-elle posée ainsi ? Parce que ce qui fait débat, dans l'horizon digital, c'est surtout et avant tout : qui gagne "quoi et combien" à la numérisation des livres. Et ceci que la bande dessinée soit d'abord éditée au format papier, ou directement conçue pour un usage numérique.

La bande dessinée l'enfant gâté de l'édition papier

Que nous apprends le rapport "Combien coûte un livre numérique" en ce qui concerne la bande dessinée ? Les seuils de coût et de rentabilité annoncés, par l'étude, méritent que les professionnels soient attentifs à cette inévitable numérisation. Même si la BD papier est l'un des
genres éditoriaux les plus populaires du secteur et jouit d'une santé qui fait envie au reste de la profession, la question du numérique est encore plus pressante pour l'art de la bulle.

Cette "urgence" s'explique en partie par la jeunesse et la réactivité de son lectorat . Si pour les autres formes littéraires les lecteurs préfèrent encore largement le support papier, les lecteurs de bande dessinée eux, affirment
un intérêt marqué pour les supports digitales (multiplication des blogs BD, ultra présence de la BD, forums, sites, etc). De plus, les spécificités du genre, basé essentiellement sur l'art du récit visuel (comme ses cousins éloignés : cinéma, photo, etc), se prêtent, plus qu'une autre forme littéraire, à sa mise en ligne sur les écrans numériques.

Mais combien coûte exactement le passage d'une BD au numérique ?

Coût de la numérisation d'une bande dessinée (2)
  • Avec numérisation : 502 € ou Sans numérisation : 214 € ou Production nouveauté : 70 €
  • Soit un coût moyen : 262 €
  • Majoré du coût multimédia : 750 €
  • Soit un total (cout moyen + cout multimédia) : 1 012 €
Rentabilité d'un BD numérique (2)
  • Prix de vente : 4,99 €
  • Marge éditeur (30% du prix HT) : 1,25 €
  • Ventes point mort / moyen (avec contenu multimédia) : 809 ex
  • Ventes point mort/ moyen (sans contenu multimédia) : 209 ex.
  • Ventes point mort / nouveauté (avec contenu multimédia) : 655 ex.
  • Ventes point mort / nouveauté (sans contenu multimédia) : 56 ex.
Ces chiffres, en contradiction avec les chiffres de la SNE (3), font état de la rentabilité rapide d'un passage au format numérique de tout ou parti du fond d'un éditeur. Comparativement (au roman, à l'essai ou au beau livre) d'après l'étude du MOtif, la bande dessinée est la forme littéraire la plus rentable car l'une des moins chère à numériser ! Les professionnels semblent l'avoir compris et on voit arriver depuis peu des sites dédiés à la vente de BD numériques : Izneo, Foolstrip, Digibidi, etc.




Le grand perdant du numérique : le libraire traditionnel

L'étude finit de faire état de la répartition des bénéfices de la vente des livres numériques. Le grand perdant de cette entrée dans l'ère du numérique est incontestablement le libraire. Le montant des bénéfices de ces ventes favorisent en premier lieu : le distributeur ou la plateforme, ensuite l'éditeur et en tout dernier lieu l'auteur (qui reste là encore le parent pauvre des bénéfices).

La BD numérique doit apporter sa valeur ajoutée

Toutefois l'étude rappelle que l'édition numérique est inévitable à terme. Cependant, la dématérialisation de l'oeuvre ne devra pas se contenter d'être une reproduction, mais apporter une valeur ajoutée pour l'attractivité du produit (bonus, working progress, son, musique, etc doivent être envisagés pour agrémenter la lecture).

De plus elle devra adapter ses contenus et parfaire son esthétique afin de trouver une vraie place sur les supports numériques : Iphone, smartphones, tablettes LCD type iPad,lecteurs à base d’encre électronique (eInk) en petits, Nintendo DS, netbooks, ordinateurs portables et fixes, tableaux interactifs installés en milieu scolaire, etc.

Au final, la BD seule ne pourra réussir son passage au numérique sans les efforts concertés de tous les intervenants. L'Etat semble réfléchir à discipliner le marché, les auteurs BD lancent leur appel... Reste aux éditeurs et aux distributeurs de faire un pas !


(1) Syndicat National des Auteurs et des compositeurs - Groupement des auteurs de bande dessinée

(2) Chiffres de l'Etude du MOtif "Combien coute un livre numérique" - 4 mai 2010

(3) Syndicat National de
L'Edition

1ere Edition de l'article : 7 mai 2010

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire