mardi 22 mai 2012

"Ainsi va la vie", la BD corrosive de la génération Goldorak

Geeks, addict de warcraft, nostalgiques d'Albator, mangeurs de bloubi boulga et tout ceux qui ont été bercé trop près de la télé : voici une BD pour vous.


Ainsi va la vie -
Gloris et Charve © Drugstore
Qui a dit que la bande dessinée c'était que pour les enfants ? Ainsi va la vie, paru le 1er avril aux Editions Drugstore, n'est certainement pas de celle qu'on met entre les mains des plus petits. Et ne vous fiez pas à sa couverture ludique et colorée. Si elle parle bien de montagnes russes et de frissons, ce sont ceux de la vie.

Ce petit pavé, paru dans la collection Roman Graphique, est certes drôle et jouissif, mais il est avant tout amère, acidulée et sombre aux entournures ! A lire d'urgence pour tout trentenaire qui aurait survécu (avec un peu de lucidité) aux "biberonnés fluorés" des Casimirs, Goldorak et autres Capitaine Flamme des mercredis télévisuels !

Illustration : Frédéric Charve, première expérience BD réussie !

Au dessin on découvre, Frédéric Charve, un tout nouvel illustrateur qui signe là sa première BD. Si cela peut se sentir par un certain manque d'audace, il est à remarquer qu'il présente un travail qui se tient et reste cohérent sur la longueur. Le trait par son encrage noir et épais se rapproche de l'art urbain et n'hésite pas à emprunter l'énergie du graph pour baigner le récit dans une signature très années 80/90.
Si le découpage et le traitement des cases respectent sous son crayon le modèle franco belge, le dessin lui, semble, lorgner par certains aspects vers ce genre hybride appelé "franga" (ou "manfra" selon du coté du globe qu'on se situe). Mais si ce choix graphique peut déplaire, il semble bien une forme d'hommage aux dessins animés qui hantent la bande de potes d'Ainsi va la vie visiblement bercée un peu trop près de la télé...

 
Joëlle Comtois, une couleur claire, nette et sobre !

La mise en couleur informatique de Joëlle Comtois, si elle est réduite bien souvent à de larges aplats de couleurs sans recherches particulières, donne à cet univers post-Casimir, sa note de couleur indispensable. Ce qui peut au premier abord paraître comme un défaut visuel au rendu lisse et froid, devient vite une qualité. Ses couleurs cartoonesque éclairent un scénario fort qui aurait pu l'emporter en noirceur. Le contraste opère et lie le dessin et le scénario pour nous projeter dans les années 90 et rendre avec justesse les couleurs d'une époque pas si lointaine.

Le point fort d'Ainsi va la vie : Thierry Gloris au scénario

Au scénario, le point fort du livre, c'est avec surprise et beaucoup de plaisir, qu'on retrouve Thierry Gloris, maître des récits historiques et fantastiques. Ceux qui ont suivi sa bibliographie ses dernières années pourront être étonnés. Mais c'est, là, une vraie révélation ! Thierry Gloris, plus habitué à battre le pavé froid d'un Paris éclairé au bec de gaz, démontre dans ce récit nerveusement contemporain et psychédélique la maturité et la diversité de ses qualités de scénariste.
L'auteur du récent Aspic, détectives de l'étrange, et du maintenant célèbre Codex Angélique, explore ici un passé proche, pour le plus grand plaisir des trentenaires et presque-quadra de la génération Club Dorothée, dont il fait lui-même partie. Il brosse, avec une efficacité chirurgicale, dans un kaléidoscope sans concession, le portrait d'une "bande de potes", parmi laquelle vous retrouverez certainement des connaissances, si ce n'est un peu de vous-même.

Le casting d'Ainsi va la vie
Jean-Edouard, François, Stéphane, Natacha, Sophie et Laurent sont engoncés chacun dans une vie qui ne leur "va pas bien". Coté casting : un coureur de jupon égocentrique et cynique, un consommateur de marijuana abonné aux assedic, une prof de LEP fuyante et insatisfaite au lit, une éternelle étudiante esseulée vivant d'expédients et enfin (et pas des moindres) un employé de banque veule, raciste, à la libido exacerbée. Coté timing : vous aurez cinq chapitres pour remonter (malgré les facéties du scénariste) le courant et connaître le trait d'union qui unit ces êtres, que tout semble éloigner.

La narration, volontairement décousue, commence sur François, qui paraît, malgré son côté lunaire, le plus équilibré de la bande. Les mains dans les poches, calvitie naissante et sourire naïf en avant, François va au rendez-vous annuel qui réunira son ancienne bande de potes... Des années galères, coloc, drague, soirée, drogue douce, jeux vidéos, beuverie et excès en tout genre d'une jeunesse qui prends le temps d'aller vite (au propre comme au figuré), Ainsi va la vie, ne vous épargnera pas grand chose ! Mais elle vous laissera aussi la vague sensation qu'ainsi va la vie de beaucoup d'entre nous... Jusqu'au jour ou l'adulescent rencontre la gravité de la vie à laquelle des heures entières de Goldorak ou de Warcraft ne l'ont absolument pas préparé.

Ainsi va le monde : On ne peut pas être et avoir été !
Entre utopie, rêve, illusion et déroute, Ainsi va la vie brosse plus que le portrait d'une génération, c'est le portrait d'une "certaine" société, qui tient dans ces 132 pages. Thierry Gloris réussi le pari de nous embarquer dans un parc d'attraction où on rit souvent jaune et dont il tient les clefs d'une main de maître. Mais ce qui n'aurait pu être qu'une photographie froide et désabusée, devient un jeu de piste intimiste et humain : donc grandiose. Et c'est avec regret qu'on quitte ces personnages, imparfaitement humain, abîmés par la vie mais illuminés par leurs faiblesses, et cela au moment où on commençait tout juste à les comprendre un peu, et osons le dire : à les aimer...

Ainsi va la vie - Edition Glénat / collection Drugstore - Prix : 17 euros
Scénario : Thierry Gloris / Illustrations : Frédéric Charve / Couleurs : Joëlle Comtois

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