lundi 4 juin 2012

"Aspic, détectives de l'étrange", le carré d'As gagnant

Vous aimez E.A. Poe et la littérature du 19e? Alors cette BD à la facture quasi cinématographique est pour vous. Enquête au cœur d'un Paris mystérieux...


Aspic, Détectives de l'étrange
Gloris/Lamontagne - Ed.Quadrants
Sortie en avril 2010, aux Editions Quadrants, "Aspic, détectives de l'étrange" est le premier tome d'un dyptique qui navigue entre intrigue policière et atmosphère fantastique. Dès la couverture, vous allez découvrir un Paris, au pavé tâché d'ombres et de sang. Entre disparitions mystérieuses, hôtels particuliers, cabinets de curiosités, maisons de tolérances, diseuses de bonnes aventures, sociétés secrètes, misogynie bourgeoise et enquêteur charismatique bourru : Aspic reprend pour notre plus grand plaisir les codes des feuilletonistes célèbres du 19e.

Thierry Gloris vous invite à enquêter dans un Paris historico-romanesque...

Au scénario Thierry Gloris, convoque les univers d'Eugène Sue (Les mystères de Paris - 1842) ou encore ceux de Pierre Ponson du Terrail (Les exploits de Rocambole - 1859). Il déroule, dès les premières pages, le

fil d'une enquête digne de ces maîtres de l'intrigue, capables de tenir en haleine leurs lecteurs d'une parution à l'autre. Ici mis en case, Auguste Dupin, détective phénoménologue taciturne, érudit et doté d'un esprit déductif hors paire, (inspiré par le personnage d'Edgar Alan Poe) est le dernier recours face à une enquête qui piétine.

L'audace du scénariste est de nous emporter sans préambule dans un Paris fin 19e, reconstitué avec justesse dans ses décors, ses dialogues et son ambiance. Mais il nous propose aussi un Paris " légèrement décalé, où peuvent se croiser dans la même rue, les grands auteurs de la littérature classique et les personnages fictifs nés sous leurs plumes."

Historico-romanesque, Aspic relève, dès le premier tome, le pari de nous confondre. Mais l'originalité de l'auteur est de faire fonctionner un "carré" d'enquêteurs chacun singulier et haut en couleurs ! Parmi lesquels, on découvre une femme : Flora Vernet, jeune, belle, téméraire, et de surcroit diplômée de Polytechnique. Ces enquêteurs novices ou confirmés, vont chacun tirer un fil d'Ariane, qui semble bien devoir se téléscoper les uns les autres, confondant le ou les criminels... et peut-être, pourquoi pas, le lecteur lui même !

Jacques Lamontagne : du Canada à la France, l'illustrateur à suivre !

Si cette ambiance étrange et baroque fonctionne : c'est aussi grâce aux talents de Jacques Lamontagne, l'illustrateur de la série des "Druides" aux Ed.Soleil. L'artiste canadien, sait donner ici, et cela dès la couverture, une dimension toute cinématographique à cette bande dessinée. Son coup de crayon rappelle des parentés avec ceux d'un Didier Tarquin (Lanfeust de troy - Ed Soleil). Mais son dessin, fluide et dépouillé, privilégie la proximité et le cadrage pour placer le personnage au coeur de la narration.

Ses gros plans, ses compositions soignées ne font jamais perdre de vue l'écrin indispensable à l'atmosphère de l'intrigue : Paris devient un personnage à part entière de l'histoire. La sobriété de son découpage, sans effets visuels tapageurs et son économie de moyen, mettent les personnages et l'enquête au premier plan. Mais s'il est vrai que ses décors, très travaillés, donnent corps à la ville lumière, c'est sur les personnages et leurs émotions que J. Lamontagne braque une caméra attentive. Jouant avec toutes les variations des émotions, il donne vie aux pensées et aux ressentis des héros, pour attirer le lecteur au plus près des enjeux de l'intrigue.

Jacques Lamontagne, metteur en scène de couleurs et de lumières !

Mais il fallait pour cette plongée au coeur de Paris, où à tout moment on peut exhumer un cadavre à la lueur d'une lampe à huile, trouver les bonnes couleurs. Celles capables d'évoquer la gouaille d'une époque révolue, l'odeur pestilentielle des rues criardes, la construction du prochain métro, les bords de Seine où flottent des cadavres, les salons feutrés aux plafonds moulurés, le tic tac de l'horloge... Mais aussi signifier la course contre la montre dans laquelle sont emportés les protagonistes. Jacques Lamontagne, indubitablement, sait parler cette langue.

Il alterne entre colorisation manuelle aux encres et effets informatisés, et réussit à ajouter un niveau de lecture supplémentaire. Faites de couleurs délavées, mais chaudes, jouant de la lumière avec maestria, il assure chaque case comme une illustration unique, mais inscrite dans une harmonie globale. Il évite l'écueil de rendre les scènes fantastiques trop kitch par des tons outranciers. La palette des couleurs installe un climat en harmonie avec l'époque et donne de la profondeur au dessin par ses jeux de lumières délicats. La colorisation de Jacques Lamontagne, est tout simplement magnifique et démontre ici tout son talent.

Aspic : deux crimes, quatre enquêteurs, combien de possibilités ?

Ouvrir cette bande dessinée c'est accepter d'entrer dans le cabinet de Kathy Wuthering, médium de son état et à peine plus grande que les poupées de porcelaine qu'elle collectionne... Mais la séance à laquelle vous allez assister, à la lueur des bougies et du cristal, va vite tourner cours. Le bain de la devineresse va laisser place à un bain de sang. Presque au même instant, non loin de là, à quelques ruelles du plus célèbre lupanar de la capitale, Hugo Beyle (jeune aristocrate chétif) se fait assommer dans l'obscurité d'une porte cochère...

Il n'en faut pas plus, pour qu'Auguste Dupin, le célèbre enquêteur, soit appelé à la rescousse d'une police impuissante à résoudre la mort de la médium du tout Paris. Alors que sa jeune apprentie détective, Flora Vernet, résolue à démontrer ses talents d'analyse et de déduction, prends sur elle de résoudre le vol de la montre de l'aristocrate débauché venu solliciter les lumières de Dupin. Mais ne vous fiez pas à cette trame de départ on ne peut plus classique. Les auteurs, ont décidés, de vous donner du fil à retordre et d'ouvrir, au fil des pages, les portes du fantastique...

Alors vous avez dit bizarre ? Non, ici rien de bizarre. Tout est étrange.

A lire sur suite101 :
Entretien avec Jacques Lamontagne, Illustrateur et coloriste.
Entretien avec le scénariste Thierry Gloris

"Aspic, Détective de l'étrange - Tome 1/2 La naine aux ectoplasmes" - T.Gloris / J. Lamontagne - Editions Quadrants - avril 2010 - Prix : 14,30 euros

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